Le nouveau cycle des sommets sur l’IA : de Bletchley Park 2023 à Paris 2025
Les 10 et 11 février 2025, la France accueillera le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA), prenant la suite du Royaume-Uni (2023) et de la Corée du Sud (2024). Cet événement réunira chefs d’État, dirigeants d’organisations internationales et d’entreprises, chercheurs et membres de la société civile. Son objectif et de mener une réflexion globale sur l’avenir de l’IA dans l’intérêt général, tout en veillant au respect du bien commun. Ce sommet s’inscrit dans une série d’événements internationaux visant à réguler et encourager un usage éthique et responsable de l’IA, tout en stimulant son potentiel économique.
5 axes majeurs de réflexion seront abordés : 1/ IA au service de l’intérêt général ; 2/ l’avenir du travail ; 3/ innovation et culture ; 4/ IA de confiance ; 5/ gouvernance mondiale de l’IA. En organisant ce sommet, la France cherche à reprendre l’initiative en passant d’une approche préventive, axée sur la gestion des risques à une stratégie résolument proactive. L’ambition est de positionner l’IA comme un levier de transformation positive dans des secteurs clefs tels que la santé, l’éducation, le climat et la modernisation de l’État. Néanmoins, l’harmonisation des régulations entre pays, les divergences géopolitiques en termes d’IA – entre les Etats-Unis (dont on connaîtra alors le nouveau président), la Chine, et l’Union Européenne notamment – ainsi que la nature volontaire des engagements, risquent de freiner les ambitions françaises. Cette note revient sur les deux sommets internationaux organisés depuis 2023 avant de présenter la perspective du sommet organisé par la France. |
Bletchley Park 2023 : bilan et perspectives d’un premier pas concret vers une gouvernance mondiale de l’IA
- Si l’intérêt pour l’intelligence artificielle a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies, c’est la création de ChatGPT par OpenAI en novembre 2022 qui a véritablement bouleversé le secteur. Ce développement a remis sur la table, de manière inédite, les questions de gouvernance de l’intelligence artificielle, et les problématiques de régulation. Les sommets sur l’Intelligence Artificielle ont alors été créés, sous la forme de réunions internationales semestrielles organisées par les États pour discuter de la sécurité et de la réglementation de l’intelligence artificielle. Le premier sommet sur la sécurité de l’IA a été organisé par le Royaume-Uni à Bletchley Park un an plus tard, en novembre 2023, mettant l’accent sur les risques posés par l’IA et la nécessité d’agir.
- A l’issue du sommet, 54 pays, dont l’ensemble de l’Union européenne, les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, ont signé la déclaration de Bletchley, qui propose l’établissement de normes de sécurité universelles encadrant le développement de l’intelligence artificielle sans freiner l’innovation. Ce texte insiste sur les aspects éthiques de l’IA en termes de droits humains, une transparence accrue, et la responsabilité des acteurs impliqués dans le développement et l’utilisation de ces technologies. En plus des chefs d’États, les dirigeants des Big tech tels que Sam Altman d’OpenAI, Elon Musk de Tesla, ainsi que des représentants d’Anthropic, Google DeepMind, Microsoft, xAI ou Meta ont été associés aux travaux de réflexion sur la nécessité de régulation et de surveillance renforcée pour garantir que l’IA serve des objectifs bénéfiques tout en minimisant les risques associés à son utilisation.
- A la suite du sommet, un rapport international sur la sécurité de l’IA, rédigé par un groupe d’experts internationaux sur la sécurité des systèmes d’IA avancée, a été publié le 17 mai 2024. L’ancien Premier ministre britannique Rishi Sunak a également lancé le premier institut de sûreté de l’IA au monde, chargé de tester la sécurité des nouveaux types d’IA. Les États-Unis ont rapidement suivi le pas en créant à leur tour un institut de sécurité de l’IA.A noter que l’Institut Montaigne recommande à la France de faire de même.
- Malgré les intentions louables de la Déclaration de Bletchley, elle ne clarifie pas la manière dont les dispositifs de surveillance et de contrôle n’entraveront pas l’innovation. Par ailleurs, elle occulte les divergences entre les États sur la régulation de l’IA. Certains, comme le Royaume-Uni et la Chine, privilégient une approche plus souple, tandis que l’Union européenne et les Etats-Unis adoptent des régulations plus strictes. L’IA Act européen, par exemple, interdit les usages intrusifs et discriminatoires, comme l’identification biométrique en temps réel dans les lieux publics, une mesure qui va bien au-delà de la déclaration. La Chine, en revanche, continue d’intégrer l’IA dans des pratiques controversées telles que la surveillance de masse, la notation sociale et l’armement, reflétant une approche bien différente. Cette divergence illustre une compétition géostratégique qui s’opère en toile de fond. Il est important que les régulations issues de ces sommets ne pénalisent pas les nouveaux acteurs au profit des géants technologiques, déjà implantés aux États-Unis ou en Chine, qui se livrent à une guerre technologique intense. Enfin, la déclaration a été critiquée pour s’être concentrée sur les scénarios catastrophes de l’IA, au détriment des inquiétudes concernant son impact sur les travailleurs ou les défis spécifiques aux pays du Sud.
2024 : le « mini-sommet » de Séoul sur l’IA
- Les 21 et 22 mai 2024, la République de Corée et le Royaume-Uni ont organisé conjointement le deuxième sommet sur l’IA intitulé « Sommet de Séoul sur l’IA », avec pour objectif de maintenir l’impulsion générée par le sommet de Bletchley. Ce « mini-sommet » s’est tenu à la fois virtuellement et à Séoul pendant deux jours d’événements consécutifs. Le sommet s’est structuré autour de deux conférences, l’AI Seoul Summit et l’AI Global Forum. Ces conférences se sont déroulées simultanément, au même endroit et avec la plupart des mêmes participants.
- Le sommet de Séoul sur l’IA a suivi un format similaire à celui du sommet britannique de 2023, en invitant les chefs d’État, y compris la Chine qui, une fois de plus, a choisi de ne participer qu’à la réunion ministérielle. Un groupe restreint de représentants de l’industrie de l’IA était également présent pour présenter les mesures de sécurité adoptées en lien avec la déclaration de Bletchley.
- La première journée était coprésidée par le président sud-coréen Yoon Suk Yeol et le premier ministre britannique Rishi Sunak. Le deuxième jour, une réunion ministérielle sur le numérique a eu lieu à Séoul, organisée conjointement par les ministères sud-coréen et britannique, tandis que le Forum mondial sur l’IA se tenait en parallèle. Même si la Corée était mise en avant, le Royaume-Uni est resté au premier plan, cherchant à garder la main sur l’agenda du sommet.
- Ce sommet a légèrement ajusté son d’approche en intégrant des thèmes tels que l’innovation et l’inclusivité aux problématiques de risques liés à l’IA à l’ordre du jour. Cependant, certains critiques ont estimé que cette diversification pourrait diluer l’accent mis sur la sécurité, ce qui avait fait l’originalité du sommet britannique, dans un paysage déjà bien encombré d’initiatives politiques sur l’IA. Cela a été perçu comme facteur expliquant une baisse de la participation et de la couverture médiatique, un phénomène toutefois attendu pour un événement présenté comme un « mini-sommet ».
- Bien que le sommet de Séoul n’ait pas atteint la même notoriété que celui du Royaume-Uni, il n’en demeure pas moins fructueux. Il a contribué à l’augmentation du nombre d’instituts de sécurité de l’IA dans le monde, ce qui laisse présager une augmentation significative de la capacité mondiale des gouvernements en matière de sécurité dans le domaine. Outre les initiatives des États-Unis et du Royaume-Uni, le Japon, la Corée du Sud et le Canada ont annoncé la création de leurs propres instituts de sûreté de l’IA. L’Union européenne a suggéré que l’Office de l’IA, créé dans le cadre de la loi européenne sur l’IA, assume un rôle similaire pour l’ensemble de l’Union.
- Enfin, les organisateurs coréens et britanniques ont obtenu une déclaration d’intention signée par dix pays et l’Union européenne, visant à créer un réseau de coopération entre ces différents instituts. Si le sommet britannique avait jeté les bases de cette idée,le sommet de Séoul en a élargi l’échelle à un niveau global, favorisant une approche collaborative pour la sécurité de l’IA.
2025 : la France affiche son ambition d’être en tête de course de l’IA
- En février 2025, la France prendra la relève en organisant la troisième édition du Sommet, illustrant sa volonté de passer d’une approche préventive à une stratégie proactive, avec à l’ordre du jour le sujet central de l’ouverture.
- A la veille du salon de l’innovation VivaTech, le 21 mai 2024, Emmanuel Macron avait déjà affirmé l’ambition de la France de devenir leader mondial dans le domaine de l’IA, en positionnant Paris comme un centre névralgique de cette technologie.
- Pour cette édition, l’Élysée souhaite mettre l’accent sur une vision plus positive de l’intelligence artificielle. Emmanuel Macron a affirmé que, bien que maîtriser l’IA soit un défi existentiel pour la France, cette technologie représente avant tout un moteur de croissance dans des secteurs stratégiques tels que la santé, l’éducation, la transformation de l’État et la lutte contre le changement climatique. Le sommet sera structuré autour de cinq axes clés : l’IA au service de l’intérêt général, l’avenir du travail, l’innovation et la culture, l’IA de confiance et la gouvernance mondiale de l’IA. Ces thèmes aborderont également des enjeux transversaux comme l’égalité des sexes et les implications environnementales
- Anne Bouverot, envoyée spéciale de la France pour l’IA, a confirmé que cette édition sera plus inclusive et orientée vers l’utilisation de l’IA pour l’intérêt public. Fin septembre, Anne Bouverot a assisté à des événements sur l’IA lors de l’Assemblée générale des Nations unies, notamment avec Sam Altman (PDG d’Open AI) et d’autres dirigeants internationaux à New York. Le sommet français s’appuiera sur le travail accompli par les Nations unies et le sommet de Bletchley Park pour coordonner la réglementation mondiale en matière d’IA.
- Cependant, certains défis subsistent : le sommet pourrait s’appuyer principalement sur des engagements volontaires et non contraignants pour les états et entreprises, limitant l’impact concret. De plus, la régulation des entreprises productrices d’IA, opérant sous des régimes juridiques variés, et non liés à des frontières étatiques, pose un défi supplémentaire de régulation. Face à ce défi, Mme Bouverot a souligné que la France continuerait de renforcer ses partenariats internationaux et de s’appuyer sur le réseau international d’instituts de sûreté de l’IA récemment lancés pour évaluer les systèmes d’IA.
- Bien que les détails sur le lieu et les participants soient encore à finaliser, Mme Bouverot a indiqué que de nombreux cadres technologiques de grandes entreprises avaient confirmé leur participation. La France s’efforce d’élargir la liste des invités au-delà de l’industrie, notamment via des initiatives telles que l’appel à projets du Forum de Paris sur la Paix pour promouvoir des projets IA au service du bien commun.
- La participation des États-Unis au Sommet pourrait dépendre de l’issue de l’élection présidentielle de novembre 2024. Le sommet est prévu pour les 10 et 11 février, moins d’un mois après l’investiture du nouveau président. Actuellement, les initiatives américaines en matière d’IA sont fortement alignées avec les valeurs promues par l’administration Biden-Harris, notamment à travers le décret sur l’IA signé par Joe Biden, qui met l’accent sur la sécurité, la transparence et la lutte contre la désinformation. Cependant, si Donald Trump est réélu, les objectifs du sommet pourraient être en contradiction avec ses priorités. Certains Républicains américains ont vivement critiqué les efforts déployés pour lutter contre la désinformation, les qualifiant de censure. Donald Trump a d’ailleurs promis d’abroger le décret de M. Biden sur l’IA et de le remplacer par une politique axée sur le slogan « Make America First in AI », qui pourrait se concentrer davantage sur la compétitivité économique que sur la coopération internationale ou les questions éthiques.
Marc Reverdin, Managing Director, mr@reverdin.eu
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