Actualisation – Royaume-Uni – October 2024

Bien qu’il ait remporté, lors des élections du 4 juillet 2024, une victoire presque équivalente à celle de Tony Blair en 1997, le nouveau gouvernement travailliste de Keir Starmer fait déjà face à une baisse de popularité. Un Britannique sur quatre déclare avoir espéré que les travaillistes réaliseraient de réels progrès, mais se dit désormais déçu (YouGov, 2024), les changements apportés à l’allocation de chauffage pour l’hiver étant l’une des principales raisons de cette déception.

Si les nominations de M. Starmer au sein de son cabinet, notamment Rachel Reeves, première femme à occuper le poste de chancelier, et David Lammy, ministre des Affaires étrangères, ont marqué un bon départ, son leadership est aujourd’hui mis à l’épreuve par des controverses internes et des contraintes politiques considérables. Il doit s’attaquer à des problèmes urgents tels que les finances publiques, le logement, les services de santé et l’éducation, tout en rétablissant les relations avec l’Union européenne et en renforçant les liens internationaux.

Face à la baisse de ses soutiens, le succès de M. Starmer dépendra de sa capacité à surmonter ces défis et à maintenir l’élan. Conscient des inquiétudes croissantes à l’égard de son leadership, M. Starmer a entamé un remaniement de son équipe gouvernementale à Downing Street dès le 94e jour de son mandat, entraînant le départ de Sue Gray, cheffe de cabinet, après seulement trois mois en poste.

Keir Starmer est arrivé à Downing Street après une victoire historique du Parti travailliste aux élections législatives.

  • Le parti travailliste de Keir Starmer a repris le pouvoir après 14 ans d’opposition, remportant 412 sièges, soit un gain stupéfiant de 209 sièges par rapport aux élections de 2019. Parallèlement, le Parti conservateur a subi une défaite historique, ne remportant que 121 sièges, la pire déroute de son histoire. Cette première élection post-Brexit marque un tournant non seulement pour la large victoire des travaillistes et la chute spectaculaire des conservateurs, mais aussi pour la résurgence du Parti national écossais et la transformation du paysage politique.
  • Les libéraux-démocrates ont également gagné du terrain, tandis que, après huit tentatives, les souverainistes de Reform UK, dirigés par Nigel Farage, ont finalement percé en remportant 5 sièges. Au-delà des dynamiques partisanes, cette élection a également apporté d’autres bouleversements : la nouvelle Chambre des communes comptera un nombre record de 242 femmes députées, mais cet accomplissement contraste avec l’un des taux de participation les plus faibles depuis 1885, atteignant seulement 59,8 %.

Un cabinet solide, mais un leadership immédiatement mis à l’épreuve

  • Après les élections, le Premier ministre Keir Starmer a dévoilé son nouveau cabinet : Rachel Reeves devient la première femme à occuper le poste de chancelière du Royaume-Uni, Angela Rayner est nommée vice-Première ministre, Yvette Cooper devient ministre de l’Intérieur, et David Lammy prend les rênes du ministère des Affaires étrangères. Wes Streeting est quant à lui nommé ministre de la Santé. Ce cabinet est perçu comme l’un des gouvernements les mieux préparés de ces dernières décennies.
  • Trois des nouveaux secrétaires d’État ont déjà dirigé des ministères, tandis que cinq autres sont d’anciens ministres. La majorité des ministres juniors sont des députés avec une expérience ministérielle ou parlementaire de haut niveau, ou possèdent une expertise spécialisée approfondie. En plus de ces nominations, une demi-douzaine de députés travaillistes londoniens se sont vu confier des rôles influents en tant que présidents de commissions parlementaires clés, chargées de contrôler le gouvernement. Cela a suscité des commentaires selon lesquels l’administration Starmer pourrait inaugurer une ère politique davantage centrée sur Londres.
  • Keir Starmer est revenu de la conférence annuelle du parti travailliste, qui s’est tenue du 25 au 29 septembre, manifestement affaibli, ce qui l’a amené à procéder à un important remaniement ministériel. À Liverpool, les membres du parti s’inquiétaient de plus en plus de sa décision de réduire les allocations de chauffage en hiver pour 10 millions de retraités, ainsi que de la controverse suscitée par son acceptation de costumes et de lunettes « gratuits » d’une valeur de 32 000 livres sterling, qu’il a peiné à dissiper.
  • Le 94e jour de son mandat de Premier ministre, M. Starmer a procédé à des changements radicaux dans le fonctionnement de Downing Street, en commençant par le départ de Sue Gray de son poste de chef de cabinet après seulement trois mois. Gray, qui avait fait l’objet de critiques internes en raison de son salaire de 170 000 livres sterling et de son autorité jugée excessive, s’est vu proposer une rétrogradation à un rôle d’envoyée à temps partiel pour les régions et les nations du Royaume-Uni.
  • Starmer avait précédemment créé une double structure de direction dans son bureau, Morgan McSweeney supervisant la politique et Gray gérant l’administration. Si cette structure a fonctionné correctement dans l’opposition, elle a échoué jusqu’à présent au sein du gouvernement. Starmer n’a donc pas eu d’autre choix que de restructurer son cabinet, en nommant McSweeney chef de cabinet et en lui adjoignant deux adjoints chargés des tâches administratives. Si certains voient dans ce remaniement la preuve que Starmer resserre son assise sur le pouvoir, d’autres y voient une manœuvre politiquement injuste, marginalisant la gauche modérée du parti au profit des blairistes.

« Making change happen » : L’agenda de Keir Starmer sous pression politique et fiscale

  • Keir Starmer veut prouver que le Parti travailliste « fait bouger les choses » en s’attaquant en priorité aux dossiers où l’opposition interne est faible, ce qui permet de maintenir l’élan. Parmi ces initiatives, M. Starmer cherche à lever l’interdiction des parcs éoliens terrestres, une politique longtemps défendue par les gouvernements conservateurs sous la pression des députés et des électeurs. En s’attaquant à ce sujet, Starmer met non seulement en évidence un échec des conservateurs, mais renforce également la plateforme environnementale du Parti travailliste.
  • Cependant, des défis importants se profilent, notamment en matière de finances publiques. La chancelière Rachel Reeves a annoncé que les finances publiques du Royaume-Uni sont dans leur pire état depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a précisé que des choix difficiles seront inévitables, tout en mettant l’accent sur la stimulation de la croissance et l’augmentation des investissements. La réforme du cadre national de la politique d’aménagement du territoire et le rétablissement des objectifs de construction de logements sont au cœur du programme travailliste pour résoudre la crise du logement au Royaume-Uni. L’une des promesses phares de M. Starmer est de construire 1,5 million de logements au cours des cinq prochaines années. Toutefois, des experts expriment des doutes sur la capacité du Parti travailliste à atteindre cet objectif, soulignant la nécessité d’une transformation radicale des politiques en matière de logement pour le rendre réalisable.
  • L’attraction des investissements étrangers constitue un autre défi majeur. Au cours des 30 dernières années, le Royaume-Uni s’est souvent classé parmi les derniers pays du G7 en matière d’investissement total, et le nombre de nouveaux projets d’investissements directs étrangers est proche de son plus bas niveau en 12 ans. Les travaillistes devront redoubler d’efforts pour attirer les capitaux étrangers et améliorer le climat d’investissement dans le pays.
  • L’amélioration des services publics, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’éducation, mettra à l’épreuve la détermination des travaillistes. Des années d’austérité ont laissé ces secteurs sous-financés, et bien que le Parti travailliste se soit engagé à augmenter les dépenses du NHS de 1,1 % par an, des avancées significatives risquent de se faire attendre. Le gouvernement de Keir Starmer prévoit de réduire les listes d’attente en ajoutant 40 000 rendez-vous supplémentaires par semaine, de doubler le nombre de scanners pour le dépistage du cancer, et de recruter 8 500 nouveaux professionnels en santé mentale. Cependant, l’ampleur de ces efforts pourrait ne pas suffire à satisfaire pleinement la demande publique. Dans le domaine de l’éducation, les travaillistes s’attaquent à des problèmes persistants en promettant un investissement de 450 millions de livres sterling pour recruter 6 500 enseignants spécialisés et améliorer l’inspection et le développement des écoles à travers l’Angleterre.
  • Pour renforcer l’investissement dans le secteur public, le Parti travailliste s’est engagé à consacrer près de 5 milliards de livres par an d’ici à 2028-2029. Ce financement soutiendra des initiatives clés telles que Great British Energy, le Warm Homes Plan pour isoler les logements anciens, ainsi que la création d’un National Wealth Fund de 7,3 milliards de livres pour investir dans la décarbonisation de l’industrie lourde, avec des projets tels que l’acier vert et les gigafactories. Les réformes de la British Business Bank permettront également de canaliser les vastes réserves de capitaux institutionnels du Royaume-Uni vers des projets à faibles émissions de carbone.
  • Dans le domaine de la défense, M. Starmer s’est engagé à augmenter les dépenses militaires à 2,5 % du PIB. Il prévoit de mener une révision complète des priorités militaires du Royaume-Uni, avec un calendrier précis pour atteindre cet objectif, alors que l’OTAN continue de faire pression pour le renforcement des capacités de défense européennes.
  • Enfin, M. Starmer devra s’attaquer à la réforme du système pénitentiaire, en proie à la surpopulation. La libération anticipée de 10 000 prisonniers par le précédent gouvernement conservateur n’a que partiellement résolu ce problème. Le projet travailliste de réduire la durée minimale d’incarcération de 50 % à 40 % pourrait susciter des réactions négatives au sein de l’opinion publique. Néanmoins, le parti s’engage à construire de nouvelles prisons et à améliorer la coordination entre les sortants de prison et les services de probation, afin de réduire la récidive et renforcer la sécurité publique.

Naviguer dans les relations post-Brexit : entre continuité et reconstruction

  • Sous la direction de Keir Starmer, la politique étrangère du Royaume-Uni devrait, à bien des égards, rester proche de celle du précédent gouvernement conservateur. M. Starmer a déjà tiré parti de deux moments clés en matière de politique internationale – un sommet de l’OTAN et une réunion de la Communauté politique européenne – pour affirmer son engagement en tant que Premier ministre pro-OTAN, pro-Ukraine et favorable à une meilleure coopération avec l’UE. Ces événements ont permis aux travaillistes de démontrer rapidement leur soutien à l’Ukraine, tout en donnant à Starmer l’occasion de rencontrer le président américain Joe Biden, soulignant ainsi la solidité des liens transatlantiques.
  • Depuis le vote du Brexit en 2016 et le départ du Royaume-Uni du marché unique en 2020, les relations entre le Royaume-Uni et l’UE sont restées tendues. Bien que le nouveau gouvernement travailliste ne vise pas à réintégrer l’union douanière de l’UE, il existe un espace et une volonté d’améliorer les relations avec Bruxelles. Le ministre des Affaires étrangères, David Lammy, a consacré sa première semaine en poste à visiter les capitales de l’UE et à rencontrer des dirigeants européens, dans le but de remettre le Royaume-Uni sur une trajectoire plus positive avec son principal partenaire commercial et diplomatique. Avec une position plus favorable à l’UE que celle des conservateurs, il est probable que cet effort se poursuive, dans l’optique de réparer et renforcer la coopération entre le Royaume-Uni et l’UE dans les années à venir.
Malgré les difficultés, le gouvernement de Keir Starmer tente de regagner de l’élan grâce à un remaniement stratégique et au succès du Sommet international de l’investissement, organisé à Londres le 14 octobre, qui a réuni des entreprises et des investisseurs mondiaux de premier plan. Lors de ce sommet, M. Starmer a placé la « stabilité » au cœur de son message, un principe qui a résonné auprès des investisseurs et abouti à un engagement sans précédent de 63 milliards de livres sterling, soit plus du double du montant atteint lors du précédent sommet sous la présidence de Rishi Sunak.

Cependant, l’issue dépendra en grande partie du prochain budget, prévu pour le 30 octobre, qui révélera la stratégie à long terme du gouvernement en matière d’impôts, de dépenses et d’emprunts — des éléments essentiels pour maintenir la confiance des investisseurs. Avec des initiatives telles que la consultation « Invest 2035 », qui vise à cibler les secteurs à forte croissance, le gouvernement Starmer se positionne pour attirer les investissements internationaux et redéfinir la stratégie industrielle du Royaume-Uni. Le succès de cette approche reposera sur sa capacité à gérer les pressions économiques et politiques actuelles.

Diederik de Vilder, Research and Analysis Director, ddevilder@reverdin.eu

Angelina Maupas, Junior Consultant, amaupas@reverdin.eu

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